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Combattre la pauvreté

- 8.02.04 -

Combattre la pauvreté
Publié le:  janvier 2006

C’est par des politiques d’emploi actives que l’on combat la pauvreté et l’exclusion. C’est aussi par l’action publique.

«Le plus grand des maux et le pire des crimes, c’est la pauvreté », écrivait George Bernard Shaw en 1907. Un siècle plus tard, ce constat n’a jamais été aussi vrai, avec une pauvreté d’autant plus choquante et répréhensible qu’elle touche des pays prospères comme ceux de l’OCDE.

Pourtant, tous ces pays se soucient de la pauvreté et de l’exclusion, ne serait-ce que parce que, non contentes de détruire les ressources et les potentiels humains, elles empêchent aussi les pouvoirs publics de garantir la croissance économique, ainsi que la cohésion sociale et politique. Les gouvernements de l'OCDE doivent donc mener des politiques plus efficaces contre la pauvreté, et leur accorder la priorité. Les politiques traditionnelles n’ont traité que les symptômes de la pauvreté, par l’octroi de compléments de revenu. Elles ont pu atténuer les aspects les plus criants de la pauvreté, mais elles ont aussi contribué à l’entretenir, et ont laissé de côté l’ambition personnelle et la notion d’effort. Des politiques sociales plus volontaristes peuvent avoir des effets durables, en aidant les exclus à rebondir et à se prendre en charge, ainsi que leur famille. Les politiques sociales dites « actives » sont conçues pour aider ces personnes à accéder à l’emploi. Elles visent à mieux intégrer les services d’aide sociale et créent à l’égard des fournisseurs comme des destinataires de cette aide une obligation réciproque de coopérer au processus de réinsertion.

Comment mesure-t-on la pauvreté ? Le revenu n’est pas le seul critère, car il ne constitue pas tout le patrimoine, et il ne reflète pas les difficultés financières passagères. Il reste néanmoins capital pour échapper à la pauvreté, et le revenu disponible demeure le critère le plus significatif.

La notion de pauvreté peut être abordée sous deux angles. Tout d’abord, certaines personnes ne peuvent même pas accéder aux biens ou aux services de première nécessité. C’est la pauvreté absolue, en net recul dans les pays de l’OCDE selon la plupart des indicateurs – une baisse estimée, à l’aune d’un seuil de revenu relatif constant, à plus de 60 % entre le milieu des années 80 et 2000.

La pauvreté relative est plus problématique. Elle se calcule notamment en fonction du revenu moyen ou médian des ménages. Elle permet en substance de mesurer le degré de privation de biens et services couramment consommés. Au milieu des années 80, la proportion de la population de la zone OCDE ayant moins de la moitié du revenu disponible médian était d’environ 9 % en moyenne, et d’un peu plus de 10 % en 2000.

Les racines de la pauvreté

Il est parfois bien difficile de comprendre les causes de la pauvreté. Il s’agit souvent d’un glissement progressif, voire imperceptible. Dans son roman intitulé Dans la dèche à Paris et à Londres, George Orwell ne prend réellement conscience de sa pauvreté que lorsqu’il en est réduit à gager ses vêtements au mont-de-piété. Certaines personnes sont ruinées du jour au lendemain, pour cause de dettes, de rupture familiale ou à la suite du décès de leur conjoint. Le manque de qualifications, ou des problèmes de santé, physiques ou mentaux, sont aussi des causes fréquentes. Mais c’est surtout l’emploi qui permet d’éviter la pauvreté, et la réinsertion sur le marché du travail devrait être la priorité pour les pouvoirs publics.

Les personnes vivant dans un ménage sans emploi ont cinq fois plus de risques d’avoir un faible revenu que dans le cas des ménages dont certains membres travaillent. La pauvreté touche nombre de parents isolés. En fait, le taux de pauvreté relative des familles monoparentales est trois fois plus élevé que celui des autres familles, mais lorsque le parent isolé a un emploi, les risques sont bien moindres, tout comme pour les couples avec enfants. Ceci explique que les pays où le taux d’emploi des mères est le plus élevé sont également ceux qui connaissent les plus faibles taux de pauvreté infantile.

À l’évidence, la qualité de l’emploi joue également, certaines catégories d’emploi n’offrant qu’une protection limitée contre la pauvreté (voir l’article de Roland Schneider). De fait, les ménages dans lesquels au moins une personne travaille représentent deux tiers des personnes touchées par la « pauvreté monétaire » dans la zone OCDE. Il faut donc également combattre la pauvreté des gens qui travaillent.

Aujourd’hui, presque tous les pays de l'OCDE placent l’insertion professionnelle au coeur même de la lutte contre la pauvreté. Des politiques actives, d’abord sous la forme de stratégies de passage de l’aide sociale au travail, destinées aux chômeurs, ont été étendues à d’autres groupes, plus marginalisés. Elles peuvent obliger les bénéficiaires à participer aux programmes de retour à l’emploi, avec certaines sanctions financières en cas de refus. Les mêmes principes, dits « d’obligations réciproques » sont également appliqués à certains programmes d’aide aux handicapés.

Ce système semble fonctionner. Le nombre de bénéficiaires des principales prestations sociales a chuté, par rapport aux niveaux records du milieu des années 90, de plus de la moitié au Royaume-Uni et aux États-Unis, d’au moins un tiers au Canada et aux Pays-Bas, et d’un quart en Finlande. Aux États-Unis, la plupart des personnes sorties des systèmes de prestations sociales travaillent, souvent à temps complet, et pour des salaires proches de la moyenne. De même, certains programmes en faveur des handicapés, tels que les programmes pilotes « Pathways to Work » au Royaume-Uni, ont donné d’assez bons résultats. Certes, ces réformes ne parviennent pas toujours à réduire sensiblement la pauvreté relative, mais elles contribuent à mettre fin à l’inégalité croissante des revenus, tendance lourde de tous les pays de l'OCDE depuis quelques années.

Accéder à l’emploi est une chose, avoir un bon emploi, et le conserver, en est une autre. Même dans les pays dont les réformes ont fonctionné, sur 100 personnes qui ne perçoivent plus d’allocations, un tiers peut ne pas trouver d’emploi. Certains se retrouvent encore plus mal lotis qu’ils ne l’étaient auparavant.

Beaucoup de ménages pauvres ont un emploi précaire ou faiblement rémunéré. Il s’agit alors de leur accorder des aides sociales dans l’emploi. On peut le faire par des politiques de valorisation du travail, qui existent principalement sous deux formes. La première consiste à aider les personnes peu qualifiées par des crédits d’impôts ou des allocations subordonnées à l’exercice d’un emploi. Les systèmes de protection sociale du Royaume-Uni et des États-Unis fonctionnent depuis longtemps sur ce modèle, qui concerne respectivement 5 % et 20 % des ménages, en général des familles à faible revenu, en particulier celles avec des enfants. Elles bénéficient d’avantages fiscaux relativement généreux. L’Allemagne, l’Australie, la Belgique, le Canada, la France, l’Islande, la Nouvelle- Zélande et les Pays-Bas ont récemment mis en place des programmes similaires.

La seconde approche consiste à accroître la demande de travailleurs peu qualifiés, en combinant subventions générales – le plus souvent en baissant les cotisations sociales patronales pour les travailleurs à bas salaires – comme en France et aux Pays-Bas, et subventions spécifiques concernant les groupes difficilement employables, comme en Espagne et en Irlande.

Si le crédit d’impôt conditionné à un emploi a permis de réduire efficacement la pauvreté chez les familles qui travaillent, le grand défi aujourd’hui est de permettre aux personnes peu qualifiées d’avoir en outre une carrière intéressante. Pour cela, il faut s’intéresser à l’évolution de carrière, notamment en revalorisant leurs compétences et leurs salaires potentiels.

L’efficacité des programmes sociaux

Les programmes sociaux ne manquent pas dans la zone OCDE, mais ils peuvent gagner en efficacité. L’interaction entre dépenses sociales et pauvreté est évidente : à une augmentation d’un point des dépenses sociales publiques en pourcentage du PIB correspond une baisse d’un point du taux de pauvreté relative au sein de la population âgée de 18 à 65 ans. L’effet conjugué des systèmes d’imposition et de prestations permet de faire sortir de la pauvreté plus de la moitié des populations fragiles.

Cependant, pour les individus, l’important est avant tout de savoir qui a droit à l’aide sociale, dans quelle mesure les personnes concernées en sont informées et la perçoivent effectivement, et si l’aide fournie permet d’échapper durablement à la pauvreté et à l’exclusion.

S’agissant du nombre de personnes couvertes, plus d’un tiers des sans-emploi déclarant un handicap dans les pays de l’OCDE à la fin des années 90 disaient ne pas percevoir de prestations ; en Europe, un tiers seulement des personnes considérées comme chômeurs par les enquêtes sur les salariés de 2001 déclaraient avoir perçu une allocation de chômage pendant la même période ; enfin, aux États-Unis, environ 9 % des mères isolées sans emploi en 2001 affirmaient n’avoir perçu aucune prestation au cours des douze mois précédant l’enquête.

Par ailleurs, il convient d’améliorer la perception effective des aides sociales : 40 % des personnes qui y ont droit ne les touchent pas, et la proportion s’élève à 60 et 70 % s’agissant des allocations chômage. Parfois, le montant des prestations est si faible que les éventuels bénéficiaires ne les réclament tout simplement pas. Dans d’autres cas, c’est la méconnaissance de leurs droits, le sentiment de dévalorisation, ou la complexité et la durée des procédures administratives qui constituent un obstacle.

Enfin, s’agissant de l’efficacité des prestations, si l’aide reçue se limite aux prestations minimales de dernier recours, elle permet difficilement d’échapper à la pauvreté relative. L’adjonction d’une aide destinée aux enfants, ou une allocation logement, par exemple, permet néanmoins d’améliorer le quotidien.

Les gouvernements doivent également parvenir à lier entre eux les nombreux programmes existants. La multiplicité de programmes sociaux, axés chacun sur un problème spécifique comme le chômage, le handicap ou les difficultés de logement, peut conduire à négliger les besoins globaux de l’individu. Or, ce n’est pas parce qu’on a droit à une formation qu’on n’a pas aussi besoin d’un complément de loyer. Une trop grande fragmentation de l’aide sociale pourrait conduire les bénéficiaires à s’en méfier et à rejeter tout en bloc.

Pour éviter cela, certains pays ont cherché à améliorer la cohérence de leurs politiques. L’Irlande, par exemple, a mis en place un Plan national d’action contre la pauvreté, qui oblige à indiquer, dans toutes les propositions de mesures importantes, leurs impacts possibles sur les catégories les plus exposées. D’autres pays ont adopté des mesures en vue de regrouper en un même lieu l’aide à la recherche d’emploi et le paiement des prestations, ou ont mis en place des partenariats qui font intervenir le secteur privé et le secteur associatif.

Toutes ces mesures témoignent d’une prise de conscience : malgré des années de revenus élevés, de croissance et de progrès, les ravages de la pauvreté sont encore loin d’être éradiqués. En viendra-t-on à bout un jour ? Peut-être pas, mais il ne faut pas baisser la garde. En effet, comme l’observait George Bernard Shaw, plus encore qu’au malheur, c’est à la déchéance que conduit la pauvreté.

Références

Förster, Michael, et Mira d’Ercole, Marco (2005), « Income distribution and poverty in OECD countries in the second half of the 1990s », Documents de travail sur les affaires sociales, l’emploi et les migrations n°22. Accessible sur www.oecd.org/social-fr

Informations sur le programme « Pathways to Work » au Royaume-Uni.

Pour en savoir plus sur le Plan national d’action contre la pauvreté en Irlande.

©L’Observateur de l’OCDE n° 248, mars 2005